LES TEXTES
Takkesa Ge – Le sutra du kesa
Dai sai geda puku
Muso fukuden e
Hi bu nyorai kyo
Kodo sho shu jo
Ô vêtement de la Grande Libération
Kesa du champ du bonheur illimité
Je reçois avec foi l’enseignement du Bouddha
Pour aider largement tous les êtres sensibles
***
Maka Hannya Haramita Shingyo
Essence du Sutra de la Grande Sagesse qui permet d’aller au-delà
Kan ji zai bo satsu. Gyo jin han-nya ha ra mi ta ji. Sho ken go on kai ku. Do is-sai ku yaku. Sha ri shi. Shiki fu i ku. Ku fu i shiki. Shiki soku ze ku. Ku soku ze shiki.
Ju so gyo shiki. Yaku bu nyo ze. Shari shi. Ze sho ho ku so. Fu sho fu metsu. Fu ku fu jo. Fu zo fu gen. Ze ko ku chu. Mu shiki mu ju so gyo shiki. Mu gen ni bi ze-shin ni. Mu shiki sho ko mi soku ho. Mu gen kai nai shi mu i shiki kai. Mu mu myo yaku mu mu myo jin. Nai shi mu ro shi. Yaku mu ro shi jin. Mu ku shu metsu do. Mu chi yaku mu toku. I mu sho toku ko. Bodai sat-ta. E han nya ha ra mi ta ko. Shin mu kei ge mu ke ge ko. Mu u ku fu. On ri is-sai ten do mu so.Ku gyo ne han. San ze sho butsu. E han-nya ha ra mi ta ko. Toku a noku ta ra san myaku san bo dai. Ko chi han-nya ha ra mi ta. Ze dai jin shu. Ze dai myo shu. Ze mu jo shu. Ze mu to do shu. No jo is-sai ku. Shin jitsu fu ko. Ko setsu han-nya ha ra mi ta shu. Soku setsu shu watsu. Gya tei gya tei hara gya tei. Hara so gya tei bo ji so wa ka. Han-nya shin gyo.
Maka Hannya Haramita Shingyo
Essence du Sutra de la Grande Sagesse qui permet d’aller au-delà
Le bodhisattva de la Grande Compassion,Avalokiteshvara, par sa pratique profonde de la Grande Sagesse, voit que les cinq agrégats ne sont que vacuité (ku) et par cette compréhension, il soulage toutes les souffrances. Shariputra, les formes (shiki) ne sont pas différentes du vide (ku) et le vide n’est pas différent des formes. Shiki lui-même est ku, ku lui-même est shiki. Il en est ainsi aussi de la sensation, de la perception, des formations mentales et de la conscience. Shariputra, toutes les existences ont l’aspect de ku. Elles sont sans naissance ni extinction, ni pures ni souillées, elles n’augmentent ni ne diminuent. Donc, dans ku, il n’y a ni forme, ni sensation, ni perception, ni formations mentales, ni conscience ; ni oeil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni conscience. Il n’y a ni couleur, ni son, ni odeur, ni goût, ni toucher, ni pensée. Donc, dans ku n’existe pas de domaine des sens. Il n’y a ni ignorance ni cessation de l’ignorance, ni illusion ni cessation de l’illusion. Il n’y a ni dégénérescence et mort ni cessation de la dégénérescence et de la mort. Il n’y a ni souffrance, ni cause, ni cessation, ni sentier. Il n’y a ni sagesse, ni obtention, ni non-obtention. Pour le bodhisattva, grâce à la Grande Sagesse qui conduit au-delà, l’esprit sans obstacle ne connaît pas la peur, et toute illusion, tout attachement sont éloignés. Il peut parvenir à l’ultime fin, le nirvana. Tous les bouddhas du passé, du présent et du futur pratiquent la Grande Sagesse et ainsi atteignent le plus parfait éveil. Donc, nous devons comprendre qu’Hannya haramita est le grand mantra brillant et lumineux. Le plus élevé de tous les mantras qui est incomparable. Sa force coupe toutes les souffrances. C’est le vrai mantra. Par lui il est possible d’atteindre l’essence de toute vérité : Aller, aller, aller ensemble au-delà du par-delà, jusqu’à l’accomplissement total de la Voie.
***
Shigu seigan mon
Les quatre voeux du bodhisattva
Shu jo muhen sei gan do
Bon-no mujin sei gan dan
Ho mon muryo sei gan gaku
Butsu do mujo sei gan jo
Si nombreux que soient les êtres sensibles, je fais le vœu de les libérer tous.
Si nombreux que soient les illusions, je fais le vœu de les vaincre toutes.
Si nombreux que soient les Dharmas, je fais le vœu de les acquérir tous.
Si parfaite que soit la voie du Bouddha, je fais le vœu de la réaliser.
***
Jin ho san shi – A tous les bouddhas
Ji ho san shi i shi fu
Shi son bu sa mo ko sa
Mo ko ho jya ho ro mi
A tous les bouddhas passés, présents et futurs dans les dix directions,
A tous les bodhisattvas et les patriarches,
Le sutra de la Grande Sagesse qui permet d’aller au-delà.
***
Gyohatsû nenju – Le sutra des repas
Bus shô kapira
Jo do makada
Sep pô harana
Nyu metsu kuchira
Nyorai o ryôki
Gakon toku futen
Gangu is-sai shû
To san rin ku ja ku.
Shin jin pashin birû sha no fu
En mon ho shin rushâ no fu
Sen pai kashin shikyâ mu ni fu
To rai asan mirû son bu
Ji ho san shi ishî shi fu
Dai jin myo harin ga kin
Dai shin bun jusu ri bu sa
Dai jin fuen bu sa
Dai hi kan shiin bu sa
Shi son bûbu sa mo ko sa
Mo ko hôja ho ro mi.
Hitotsu ni wa kô no tashô o hakari kano raisho o hakaru.
Futatsu ni wa, onore ga tokugyô no zen ketto wo hakatte kuni ôzu.
Mitsu ni wa shin o fusegi toga o hanaruru ko towa tontô o shû to su.
Yotsu ni wa, masani ryôyaku o koto to suru wa gyôko o ryôzen ga tame nari.
Itsutsu ni wa jôdô no tame no yue niima kono jiki o uku.
Jiten kijinshu,
Gokin suji kyu
Suji hen jihô
Ishi ki jin kyu.
Jo bun san bo,
Chu bun shion.
Gekyû roku do,
Kai do kuyô.
Ik-ku idan is-sai aku
Niku ishu is-sai zen
Sanku ido shoshu jo
Kaigu jo butsu do.
Gashi sen pas-sui,
Nyo ten kan ro mi,
Seyo kijin shû
Shitsu ryo tokubo man
On makura sai sowaka.
Shi shi kai jiki kun,
Jiren kafu jashî,
Shin shin jin cho ihi,
Kishu rinbu jo son.
Gyohatsû nenju – Le sutra des repas
Bouddha est né à Kapilavastu, s’est éveillé à Magadha.
Il enseigna à Varanasi et entra dans le nirvana à Kuchinagara.
Maintenant, nous ouvrons les bols du Tathagata pour que celui qui donne, celui qui reçoit et ce qui est donné puissent être libérés de tout attachement et atteindre la libération avec tous les êtres sensibles.
Vénération à la pureté illimitée du Bouddha Vairocana, à la forme accomplie du Bouddha Amitabha et à la forme manifestée du bouddha Shakyamuni.
Vénération à Maitreya, le Bouddha du futur.
Vénération à tous les bouddhas du passé, du présent et du futur dans les dix directions.
Au Sutra du lotus de la Loi du Grand Véhicule.
Vénération à Manjushri, grand bodhisattva de la sagesse.
Au grand et parfait bodhisattva Samantabhadra.
Au bodhisattva de la grande compassion,.Avalokiteshvara.
Aux innombrables bodhisattvas, à tous les patriarches et à la Grande Sagesse qui permet d’aller au-delà.
Premièrement : nous devons réfléchir à la manière dont cette nourriture nous est parvenue. Notre reconnaissance s’adresse à tout ce qui y a contribué.
Deuxièmement : en recevant ce don, nous devons vérifier si nos vertus et notre pratique le méritent vraiment.
Troisièmement : nous devons revenir à la condition normale de l’esprit, être libre de toute convoitise et avidité.
Quatrièmement : nous devons manger cette nourriture pour la santé de notre corps.
Cinquièmement : nous prenons cette nourriture pour nous perfectionner sur la voie du Bouddha.
Pour tous les esprit affamés, j’offre maintenant cette nourriture, qu’elle pénètre l’univers tout entier. J’espère la partager avec vous.
Aux trois trésors, Bouddha Dharma, Sangha, à tous ceux qui nous ont aidé, nos parents, nos maîtres, l’humanité entière, à tous les êtres qui souffrent, qui sont prisonniers des six mondes de l’errance et qui ne peuvent se libérer eux-mêmes, que cette nourriture puisse servir à toutes les existences de l’univers.
En premier, nous mangeons pour couper tout le mal. En deuxième, pour faire le bien.
En troisième, pour sauver tous les êtres sensibles.
Actualisons ensemble la Voie du Bouddha.
Avec cette eau, je lave mon bol, elle a le goût du nectar céleste, j’en fais offrande à tous les morts et à tous ceux qui souffrent sans leurs enfers, qu’elle les désaltère comme la rosée du matin.
Dans ce monde d’illusion vide et impermanent, puissions-nous exister dans l’eau boueuse avec la pureté de la fleur de lotus. Rien ne dépasse l’esprit illimité. Aussi inclinons-nous devant Bouddha.
§§§
PRINCIPAUX TEXTES DU CHAN
Shinjinmei de Maître Kanshi Sosan ( ?-606)
Recueil de poèmes sur la foi en l’esprit
1 – Pénétrer la Voie n’est pas difficile
Mais il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet.
2 – N’éprouvant ni amour ni haine
Perspicace, clairvoyante, pénétrante (indiscutable) La compréhension.
3 – S’il se crée dans l’esprit une singularité
Aussi infime qu’une particule,
Aussitôt une distance illimitée
Sépare le ciel et la terre.
4 – Si vous réalisez ici et maintenant le satori,
L’idée de vrai ou de faux
Ne doit plus pénétrer dans votre esprit.
5 – Dans notre conscience, la lutte entre le juste et le faux
Débouche sur la maladie de l’esprit.
6 – Si nous ne pouvons pénétrer à la source des choses,
Notre esprit s’épuiser, en vain.
7 – Elle est ronde, en paix, large comme le vaste cosmos, parfaite,
Sans la moindre notion de demeurer ou de rupture.
8 – En vérité, parce que nous voulons saisir ou rejeter,
Nous ne sommes pas libres.
9 – Ne courez pas après les phénomènes
Et ne rester pas sur ku (la vérité).
10 – Si votre esprit demeure tranquille (dans sa condition normale),
Il s’évanouit comme dans un rêve.
11 – Si nous arrêtons tout mouvement,
Notre esprit deviendra tranquille.
Et cette tranquillité par la suite
Provoquera encore le mouvement
12 – Si nous demeurons aux deux extrémités,
Comment pouvons-nous en comprendre une ?
13 – Si on ne se concentre pas sur l’originel,
Les mérites des deux extrémités seront perdus.
14 – Si nous acceptons seulement une existence,
Nous tombons dans cette seule existence.
Si nous suivons le ku,
Nous devenons alors contre le ku.
15 – Même si nos paroles sont justes,
Même si nos pensées sont exactes,
Cela n’est pas conforme à la vérité.
16 – L’abandon du langage et de la pensée
Nous mènera au-delà de tout lieu.
Si l’on ne peut abandonner le langage et la pensée,
Comment peut-on la résoudre ?
17 – Si nous retournons à la racine originelle,
Nous touchons l’essence.
Si nous suivons l’illumination,
Nous perdons l’originalité.
18 – Si nous sommes illuminés en toutes directions,
Même un instant,
Cela est supérieur au ku ordinaire.
19 – Le changement du ku ordinaire (l’avant-ku)
Dépend de la naissance des illusions.
20 – Ne pas chercher la vérité,
Seulement ne pas avoir de préjugés.
21 – Ne demeurez pas dans les préjugés,
Ne recherchez pas le dualisme.
22 – S’il nous reste un tant soit peu de notion de juste ou de faux,
Notre esprit sombre dans la confusion.
23 – Le deux dépend de l’un.
Ne vous attachez pas à l’un.
24 – Si un esprit ne se manifeste pas,
Les phénomènes seront sans erreur.
25 – Pas d’erreur,
Pas de Dharma,
Pas de Dharma,
Pas d’esprit.
26 – Le sujet s’évanouit en suivant l’objet,
L’objet sombre en suivant le sujet.
27 – L’objet peut être réalisé en tant que véritable objet
Par la dépendance avec le sujet.
Le sujet peut être réalisé en tant que véritable sujet
Par la dépendance avec l’objet.
28 – Si vous désirez comprendre le sujet et l’objet,
Finalement vous devez réaliser que deux sont ku.
29 – Un ku identique à l’un et l’autre
Inclut tous les phénomènes.
30 – Ne discriminez pas entre le subtil et le grossier,
Il n’y a aucun parti à prendre.
31 – La substance de la grande Voie est généreuse,
Elle n’est ni difficile ni facile.
32 – Les personnes ayant l’esprit étroit
Tomberont dans le doute.
33 – Si nous adhérons à l’esprit mesquin,
Nous perdons toute mesure
Et basculons dans la voie de l’erreur.
34 – Si nous l’exprimons librement, nous sommes naturels.
Dans notre corps, il n’y a aucun lieu où aller et demeurer.
35 – Embrasser la nature,
Vous serez en harmonie avec la Voie.
35 – Si nous faisons confiance à la nature,
Nous pouvons être en harmonie avec la Voie.
36 – Ken hen s’oppose à la vérité,
Kontin s’en échappe.
37 – Si nous désirons aller,
Prendre le seul et suprême véhicule,
Nous ne devons pas haïr les six souillures.
38 – Si nous ne haïssons pas les six souillures,
Nous pouvons atteindre l’état de véritable bouddha.
39 – L’homme sage est non actif,
L’homme stupide aime et s’entrave lui-même.
40 – Dans le Dharma, pas de différenciation,
Mais l’homme fou s’attache à lui-même
41 – Se servir de l’esprit avec l’esprit,
Est-ce grande confusion ou harmonie ?
42 – Dans le doute,
Les consciences de sanran et de kontin s’élèvent.
Dans la conscience du satori,
L’amour et la haine sont inexistants.
43 – Au sujet des deux aspects de tous les éléments,
Nous voulons trop considérer.
44 – Comme un rêve, un fantôme, une fleur de vacuité,
Ainsi est notre vie.
Pourquoi devrions-nous souffrir
Pour saisir cette illusion ?
45 – Le gain, la perte, le juste, le faux,
Je vous en prie, abandonnez-les.
46 – Si nos yeux ne dorment pas,
Tous nos rêves s’évanouissent.
47 – Si l’esprit n’est pas soumis aux différentiations,
Toutes les existences du cosmos deviennent une unité.
48 – Si notre corps réalise profondément l’unité,
Nous pouvons couper instantanément toutes les relations.
49 – Si nous considérons toutes les existences avec équanimité,
Nous retournons à notre nature originelle.
50 – Si nous examinons cela,
Rien ne peut être comparé.
51- Si nous arrêtons le mouvement,
Il n’y a plus de mouvement.
Si nous faisons se mouvoir l’immobilité,
Il n’y a plus d’immobilité.
52 – Le deux étant impossible,
Le un l’est également.
53 – Finalement, en dernier lieu,
Il n’y a ni règle ni régulation.
54 – Si l’esprit coïncide avec l’esprit,
Les semences, les traces des actions s’évanouissent.
55 – Le doute du renard n’existant pas,
Les passions disparaissent complètement,
Et soudainement apparaît la foi juste.
56 – Tous les éléments étant impermanents,
Il n’y a aucune trace dans la mémoire.
57 – Illuminer sa propre intériorité par la lumière du vide
Ne nécessite pas l’usage de la puissance de l’esprit.
58 – En ce qui concerne hishiryo,
Considérer est très difficile.
59 – Dans le monde cosmique de la réalité telle qu’elle est,
Il n’y a entité d’ego ni autres différences.
60 – Si vous voulez réaliser le un,
Cela n’est possible que dans le non-deux.
61 – Comme cela est non-deux,
Toutes choses sont identiques, semblables,
Tolérant les contradictions.
62 – Les sages, l’humanité toute entière
Vont vers l’enseignement de la source originelle.
63 – Un moment de conscience devient dix mille années.
64 – Ni existence ni non-existence,
Partout devant nos yeux.
65 – Le minimum est identique au maximum,
Nous devons effacer les frontières des différents lieux.
66 – L’infiniment grand est égal à l’infiniment petit,
Nous ne pouvons voir les limites des lieux.
67 – L’existence elle-même est non-existence.
La non-existence elle-même est existence.
68 – Si cela n’est pas ainsi,
Vous ne devez pas seulement le protéger.
69 – Le un lui-même est toutes choses,
Toutes choses elles-mêmes sont un.
70 – Si cela est ainsi,
Pourquoi est-il nécessaire de considérer au sujet du non-fini ?
71 – La foi en l’esprit est non-deux,
Non-deux est la foi en l’esprit.
72 – Finalement la voie de notre langage sera totalement coupée,
Et le passé, le présent, le futur ne seront pas limités.
***
Shodoka de Maître Yoka Daishi (665-713)
Le chant de l’éveil
1 – Cher ami, ne vois-tu pas cet homme du satori qui a cessé d’étudier et est inactif? Il ne cherche ni à écarter les illusions ni à trouver la vérité.
2 – La nature réelle de notre ignorance est la nature de Bouddha; notre corps vide et illusoire est le corps du Bouddha Dharma-kaya.
3 – Si nous comprenons le corps de Bouddha, il n’y a plus rien. Source originelle, notre nature propre est le pur et vrai Bouddha.
4 – Les nuages flottants de cinq skandhas vont et viennent dans le ciel, l’écume des trois poisons apparaît et disparaît sur l’océan.
5 – Si nous comprenons la réalité, pour nous n’existe plus ni l’homme, ni la loi; instantanément le pire karma, le karma de l’enfer, est détruit. Si je vous trompe par des paroles fausses, puissé-je encourir éternellement le châtiment de la langue arrachée.
6 – Si vous réalisez subitement dans, l’instant , le Zen du Bouddha, les six paramitas et les dix mille pratiques se réalisent pleinement dans votre corps.
7 – Dans notre rêve existent clairement les six sentiers illusoires. Mais quand nous nous éveillons, il n’existe plus rien, pas même les milliers de phénomènes.
8 – Il n’existe ni faute, ni bonheur, ni perte, ni gain. Dans la paix de cet achèvement absolu, nous ne devons rien rechercher.
9 – Depuis l’origine on n’a jamais essuyé la poussière accumulée sur le miroir, mais aujourd’hui il faut absolument en voir l’éclat.
10 – Qui est non-pensée? (munen)? Qui est non-né? (musho) Si le non-né existe réellement, il ne peut naître non plus.
11 – Demandez à une marionnette si acquérir des mérites pour trouver le Bouddha est efficace.
12 – Abandonne les quatre éléments et ne cherche plus à saisir. Dans la paix et l’achèvements absolus, bois et mange selon tes désirs. Tous les phénomènes sont impermanents, tout est ku. C’est justement cela le grand et complet satori du Bouddha.
13 – Une doctrine précise et de la plus haute dimension est le symbole du véritable moine. Si une personne n’est pas d’accord, la doctrine se révélera d’elle-même.
14 – Car la marque du Bouddha est de couper les racines directement. On ne peut à la fois amasser les feuilles et chercher les branches.
15 – Les gens ignorent le joyau précieux (mani). Mais chacun le possède, profondément enfoui (ce trésor du Tathagata) dans la conscience Alaya.
16 – L’action mystérieuse des six organes (Roppan) est ku et n’est pas ku en même temps. Le halo lumineux d’une perle appartient au monde des phénomènes et ne lui appartient pas en même temps.
17 – En purifiant nos cinq sortes de visions, on pourra acquérir les cinq pouvoirs. Par la pratique seulement, on peut comprendre cela. L’imaginer est difficile!
18 – Il n’est pas difficile de voir la lune dans le miroir. Mais il n’y a pas moyen de capturer la lune dans le courant de l’eau. Nous allons toujours seuls, nous marchons toujours seuls. Sur le chemin du nirvana, seuls jouent ensemble ceux qui sont accomplis.
19 – La mélodie de sa vie est classique, son esprit est pur et son allure a une noblesse naturelle. Ses joues sont creusées, ses pommettes fortes, personne ne prête attention à lui. Le fils de Cakya est connu pour être pauvre. En réalité, son apparence est pauvre mais son esprit ne connaît pas la pauvreté. Il est pauvre, aussi est-il habituellement vêtu de loques. Mais il possède la voie et garde ce trésor inestimable au fond de son esprit. Et ce trésor inestimable, même lorsqu’on en use, ne s’épuise jamais. Aussi, il peut en faire bénéficier chacune, en chaque occasion, sans aucune économie, éternellement.
20 – Les trois corps et les quatre sagesses se réalisent pleinement dans son corps. Les huit compréhensions (satori) et les six pouvoirs surnaturels sont imprimés dans le fond de son esprit.
21 – L’homme supérieur a la compréhension totale en une seule fois. L’homme moyen ou inférieur, bien qu’il entende beaucoup de choses, croit à peu de choses et n’a pas de vérité profonde.
22 – Dépouille-toi par toi-même des haillons qui cachent ce trésor. En face des autres, ne te vante pas de ta dévotion.
23 – Accepte les critiques et soumets-toi aux calomnies des autres. Ils finissent à se fatiguer eux-mêmes à vouloir enflammer le ciel avec une torche. Lorsque tu les écoutes, c’est comme si tu buvais un doux nectar. Il se dissout instantanément et entre dans le mystère.
24 – Si tu comprends que les paroles mauvaises deviennes des mérites, alors elles deviennent pour toi un maître de la Voie. Si, par les critiques, tu ne t’éveilles pas au-delà de la notion d’ami ou d’ennemi, comment pourras-tu réaliser les pouvoirs illimités ( Musho) de la compassion et de la persévérance (Jinin)?
25 – Si tu comprends parfaitement l’origine, le principe, tu pourras l’enseigner parfaitement. Zazen et sagesse (dhyana et prajna) seront en complète fusion sans demeurer sur ku seulement.
26 – Il n’y a pas que moi seul maintenant qui aie la compréhension. Les Bouddhas innombrables comme les grains de sable du Gange sont tous de même essence. La doctrine de la non-crainte est comme le rugissement du lion. Il brise le cerveau des cent animaux qui l’entendent. L’éléphant, malgré sa puissance, perd sa dignité. Seul le dragon du ciel écoute cette voix avec contentement.
27 – J’ai traversé océans et lacs, j’ai passé montagnes et rivières, j’ai visité les Maîtres, j’ai cherché les Voies, j’ai pratiqué zazen. Et depuis que j’ai trouvé le chemin du mont Sokei, je sais que naissance et mort ne sont pas différents.
28 – Marcher est aussi le Zen, s’asseoir est aussi le Zen. Que l’on parle ou que l’on soit silencieux, que l’on bouge ou que l’on soit immobile, le corps demeure toujours en paix. Même si on se trouve face à une épée, l’esprit demeure tranquille. Même si on se trouve face au poison, l’esprit demeure imperturbable.
29 – Mon maître a rencontré le Bouddha Nento et, il y a longtemps, il devint Non-Niku Sen.
30 – Nous devons vivre maintes fois et maintes fois mourir. Vie et mort se succèdent sans cesse dans l’éternité.
31 – Du fait de la réalisation immédiate de la non-naissance (Mussho), plus n’est besoin de se réjouir ou de se tourmenter pour les honneurs ou la disgrâce.
32 – Se retirer dans les montagnes profondes, vivre dans un petit ermitage, assis sous un grand pin, calme et tranquille, pratiquer zazen, paisible et heureux dans la demeure du moine-ermite, vie simple et sereine, véritable beauté.
33 – Si vous vous éveillez et que vous comprenez, il n’est plus nécessaire de faire de vains efforts: rien n’appartient à l’ordre de ui (l’impermanence des phénomènes)
34 – Le don (fuse) pratiqué dans un but peut donner le bonheur de renaître dans le ciel, mais c’est comme décocher une flèche vers le ciel.
35 – Lorsque la force de la flèche est épuisée, elle retombe au sol, et cela est source de karma contraire pour le futur.
36 – Cela est tout à fait autre que d’être sous la porte de Muijiso par laquelle on entre instantanément dans la dimension du Bouddha.
37 – Seulement saisir la racine originelle, ne pas se préoccuper des branches, cela est comme capter le reflet de la lune dans un joyau pur.
38 – Je connais maintenant ce trésor de vraie liberté, inépuisable non seulement pour moi-même mais aussi pour les autres. La lune brille sur l’eau de la rivière, le vent
souffle dans les pins: fraîche et pure ombre d’une longue nuit. Quelle en est la cause?
39 – Le trésor des préceptes de la nature de Bouddha est imprimé dans le fond de notre esprit. Le brouillard et la rosée, la pluie et la brume sont le kesa qui revêt notre corps.
40 – Le bol du moine pour appeler le dragon et le bâton pour écarter le tigre. Les anneaux de métal au sommet du bâton tintent clairement. Bol et bâton ne doivent pas être considérés sous leur simple forme matérielle. Ils signifient suivre intimement la trace du Bouddha et symbolisent son précieux bâton.
41 – Ne pas chercher la vérité, ne pas couper les illusions. Car je comprends clairement que ces deux éléments sont ku, sans forme.
42 – Le non-forme n’est ni ku ni non-ku, c’est la véritable forme du Bouddha. Le miroir de l’esprit est pur et rien ne vient l’obscurcir; par sa pureté et sa clarté, il reflète tout l’univers.
43 – Les reflets de milliers de phénomènes se manifestent dans ce miroir, ce joyau parfait n’a ni extérieur ni intérieur. La vraie liberté de ku chasse la relation de cause à effet, tout est alors en parfaite confusion et désordre et apporte catastrophe abominable. Abandonner u, les existences, pour ne garder que ku, vacuité, est aussi une grave maladie, cela revient à se jeter dans le feu pour éviter de tomber dans l’eau. Vouloir
abandonner les illusions pour ne garder que la vérité est discrimination, artifice et imitation. Lorsqu’un homme ne suit que la pratique en ignorant cela, il est comme celui qui adopte un voleur pour en faire son fils.
44 – Nous gaspillons le trésor du Dharma et nous perdons ses mérites. La cause en est cette conscience du mental, aussi l’école Zen dissout-elle ce mental. Entrer dans le satori de la non-naissance immédiatement, tel est le pouvoir de la vraie sagesse.
45 – L’homme vrai saisit l’épée de la sagesse. Pointe acérée de la sagesse, flamme aussi puissante que le diamant.
46 – Cette épée est capable de briser l’esprit de toutes pensées et conceptions erronées mais elle peut également frapper par surprise tous les démons. L’enseignement du Bouddha est comme la voix du tonnerre, la loi qui gronde ou le roulement du tambour. Il étend un nuage de compassion et répand un nectar doux comme le miel. Les traces du dragon et de l’éléphant s’étendent partout sans limites, de sorte que tous les hommes, même ceux qui ont acquis un satori dogmatique ou acquis par la connaissance des
livres, peuvent s’éveiller et trouver le vrai satori par cet enseignement. Sur les glaciers de l’Himalaya ne pousse qu’une herbe pure et sans mélange. Elle donne, exclusivement, l’essence du goût. Et ce goût, toujours je le conserve.
47 – Une seule nature contient toutes les natures, une seule existence inclut totalement toutes les existences. Une seule lune se reflète dans toutes les eaux, tous les reflets de la lune dans l’eau proviennent d’une seule lune.
48 – Le corps spirituel Dharma Kaya de tous les Bouddhas entre dans ma nature. Ma nature s’harmonise avec l’esprit du Tathagata. Une sagesse inclut parfaitement toutes les sagesses. Il n’y a ni forme, ni conscience, ni action du Karma.
49 – Durant un seul instant, quatre-vingt mille portes sont créées, durant un seul instant,le temps éternel est achevé.
50 – Les mesures ne sont pas mesure. Comment être en rapport avec notre nature véritable? Ne pas critiquer, ne pas louer. Notre corps est comme le ciel. Ils sont sans limites.
51 – Si tu ne quittes pas la place où tu es, tu demeures tranquille. Si tu cherches à connaître, tu te rendras compte que tu ne peux ni comprendre, ni acquérir, ni rejeter. Ce que tu ne peux pas obtenir, inconsciemment tu l’obtiendras. Lorsque tu es silencieux, tu discours; lorsque tu discours, tu es silencieux. Quand la grande porte du don (fuse) est ouverte, il n’y a plus d’impasse.
52 – Si quelqu’un me demande à quelle religion j’appartiens, je réponds: la puissance de Maka Hannya.
53 – Qu’est-ce que le bien, qu’est le mal? Les hommes ne peuvent le savoir. Qu’est-ce qui va dans le bon sens ou à contre-courant? Même le ciel ne peut le mesurer.
54 – Pendant longtemps, autrefois, j’ai pratiqué et étudié. Ce ne sont ni paroles en l’air ni mensonges. Ici, je dresse le drapeau de la loi et j’établis la vraie religion. La véritable et saint lignée du Bouddha se continue à travers le moine du mont Sokei. Mahakashyapa, le premier, transmit la lampe, le flambeau, puis l’histoire compta vingt-huit générations sous le ciel de l’Inde. Par la voie des océans, le Zen a atteint cette terre, Bodhidharma en fut le fondateur. Six générations illustres lui succédèrent et transmirent la robe. Désormais, dans les générations futures, nombreux seront ceux qui recevront la Voie du Zen.
55 – La vérité du Zen n’a pas besoin d’être défendue. De même l’origine des illusions, elle aussi, est ku. Mais existence ou non-existence, quand ces deux point de vue sont abandonnés, non-ku lui-même devient ku.
56 – Les vingt portes de ku n’ont pas d’existence. La nature unique des Tathagatas est originellement identique pour toutes les existences.
57 – L’esprit est la racine, le Dharma est la poussière. Tous deux sont comme les reflets dans le miroir. Lorsqu’on a enlevé cette poussière, la lumière, alors, resplendit. Esprit et Dharma ont complètement disparu, notre nature est alors authentique. Hélas! Cette époque est marquée par la dégénérescence du Dharma, les hommes ne sont guère heureux; il est difficile de les diriger, ils sont très loin de la sagesse, de la sainteté et se plongent dans de fausses conceptions. Les démons sont puissants, le Dharma est faible et la haine malfaisante se répand partout. Ils ont la possibilité d’écouter l’enseignement de la porte de la vraie doctrine du Bouddha, malheureusement ils le rejettent, le brisent en mille morceaux comme une tuile et ne peuvent retrouver la forme originelle.
58 – L’action provient de l’esprit, les maux proviennent du corps, aussi ne devez-vous éprouver aucun ressentiment envers autrui.
59 – Si tu ne veux pas t’attirer un karma illimité, ne critique pas la roue (l’enseignement) du Dharma du Bouddha.
60 – Dans la forêt de bois de santal ne pousse aucun autre arbre. Les lions seuls demeurent dans cette forêt profonde, dense, silencieuse. Et partout, dans ce bois tranquille, les lions s’amusent librement. Tous les animaux de la terre et tous les oiseaux du ciel se sont enfuis au loin, seuls les lionceaux marchent à la suite du lions. A peine âgés de trois ans, ils sont déjà capables de rugir. Et même si les chacals voulaient imiter ces lions, rois du Dharma, ils ne pourraient empêcher les cent mille démons d’ouvrir leur bouche librement.
61 – L’enseignement véritable ne peut être saisi par l’entendement humain. Mais si vous avez des doutes, si vous ne comprenez pas, il vous est tout à fait possible d’en discuter avec moi.
Ceci n’est pas une opinion issue de mon dogmatisme. Il est à craindre seulement que notre pratique ne dégénère vers les deux extrêmes de la négation et de l’affirmation.
62 – Le négatif n’est pas négatif (non n’est pas non), le positif n’est pas positif (oui n’est pas oui). Si nous nous trompons à ce sujet, même d’un cheveu, nous nous écartons de mille lieues. Lorsque c’est oui, la fille du Dragon elle-même peut subitement devenir Bouddha, lorsque c’est non, le moine Zensho (« bonne étoile ») lui-même peut, de son vivant, tomber en enfer.
63 – Pour ma part, depuis mes jeunes années, j’ai accumulé les connaissances, j’ai étudié les textes et leurs commentaires ainsi que les Sutras. J’ai réfléchi sur les noms et les formes mais je n’ai pas connu le repos dans ces études; car c’est sûrement aussi vain que de vouloir entrer dans l’océan pour en compter les grains de sable. Le Bouddha me le reprocha, à juste titre, car, enfin, quelle utilité y a-t-il à compter le trésor des autres ?
64 – Maintenant je vois bien que jusqu’à aujourd’hui, moine errant, j’ai pratiqué en vain et pendant de longues années, j’ai erré dans de mauvaises voies. Ma nature étant peu lumineuse, je me suis trompé et n’ai pas compris. Aussi n’ai-je pu accéder au véritable enseignement du Bouddha.
65 – Le Hinayana est entièrement dévoué à la Voie (shojin) mais l’amour universel lui fait défaut. L’intelligence et le savoir manquent de sagesse profonde.
66 – Ils sont stupides et puérils ceux qui créent une fausse réalité dans de leur poing vide ou au bout de leur doigt.
67 – Ils n’obtiennent rien en prenant pour la lune le doigt qui la montre. Ils mélangent et confondent volontairement le monde objectif et subjectif. L’homme qui embrasse tous les aspects est Bouddha. Alors, il peut véritablement être appelé du nom de kanjizai (Avalokitesvara)
68 – Lorsque l’illumination est réalisée, le karma originel devient ku. Autrement nous devrions payer nos dettes.
69 – Nous avons faim et même devant une table royale nous ne mangeons pas. Nous sommes malades et même si nous rencontrons le roi des médecins et ne suivons pas ses remèdes comment pourrons-nous être guéris?
70 – Dans le monde des désirs, nous ne pouvons pratiquer le Zen par le pouvoir de la sagesse. Lorsque le lotus est né dans le feu jamais il ne pourra être détruit. Yuse a transgressé l’un des plus importants préceptes mais ensuite, il eut le satori de la non naissance, dans l’instant il devint un Bouddha et maintenant il existe.
71 – L’enseignement semblable au rugissement du lion est sans peur. Quelle pitié que ces esprits stupides et confus!
72 – Ils comprennent que violer les préceptes est un empêchement à l’illumination, mais ils ne peuvent découvrir le secret de l’essence de l’enseignement du Bouddha.
73 – Deux moines avaient enfreint le précepte de chasteté et avaient commis un crime. L’enseignement d’Hari (Upali) ne fit qu’accroître leurs remords. Mais le grand Yuima instantanément effaça leurs doutes aussi vite que neige et glace fondent au soleil. La puissance mystérieuse de l’illumination a des effets merveilleux aussi innombrables que les grains du sable du Gange. Pourquoi refuser la peine de lui faire les quatre offrandes, dix mille pièces d’or à côté de cela ne valent rien.
74 – Même si nous devions réduire nos os en poudres ou couper notre corps en morceaux, cela ne serait pas encore suffisant pour le remercier. Un seul mot juste est au delà de dix milliards de mots.
75 – Il est le roi du Dharma, il est le plus haut. Tous les Bouddhas aussi nombreux que les grains de sable du Gange en témoignent. Je sais maintenant ce qu’est ce joyau (mani) et tous ceux qui le reçoivent avec confiance peuvent être rois du Dharma. Il n’y a rien à trouver dans le monde du satori, il n’y a ni homme ni même Bouddha. Les cosmos innombrables eux-mêmes sont comme des bulles dans l’océan. Tous les sages et vénérables sont comme des éclairs du ciel.
76 – Même si un grand cercle de métal se met à tourner au-dessus de ma tête, la clarté parfaite de jo-e demeure toujours. Même si le soleil devient froid ou si la lune se réchauffe, malgré les nombreux démons, la vraie doctrine reste indestructible. Le char de l’éléphant avance lentement sur le chemin, comment la mante religieuse pourraient-elles refuse le passage à ses roues? Le grand éléphant ne joue pas sur le sentier des petits lapins, un grand satori est au-delà des petits honneurs. Ne juge pas de l’immensité du ciel bleu à travers une paille. Si tu n’as pas encore la compréhension, je te confirmerai maintenant plus profondément.
***
Sandokai de Maître Sekito Kisen (700-790)
L’harmonie entre la différence et l’identité
L’esprit du grand sage de l’Inde
S’est intimement transmis d’ouest en est.
Les facultés de l’homme sont plus ou moins aiguisées
Mais la Voie n’a ni patriarche du Nord ni patriarche du Sud.
La source spirituelle brille dans la lumière ;
Les effluents coulent dans l’obscurité.
Saisir les choses est certainement une illusion ;
Se mettre en accord avec l’identité n’est pas encore l’illumination.
Tous les objets des sens sont en interaction et pourtant ne le sont pas.
L’interaction entraîne la solidarité.
Sans quoi chacun reste sur sa position.
Les visions varient en qualité comme en forme,
Les sons sont tantôt agréables tantôt désagréables.
Dans l’obscurité, les discours raffinés et vulgaires
Se confondent, dans la lumière, les phrases claires et troubles se distinguent.
Les quatre éléments retournent à leur nature
Tout comme l’enfant se tourne vers sa mère.
Le feu chauffe, le vent bouge, l’eau mouille, la terre est solide.
OEil et vision, oreille et son, nez et odeur, langue et saveur.
Ainsi, pour tout ce qui existe, selon ces racines-là, les feuilles se développent.
Le tronc et les branches partagent l’essence ;
Noble ou vulgaire, chacun a son discours.
Dans la lumière existe l’obscurité,
Mais ne la prenez pas pour de l’obscurité.
Dans l’obscurité existe la lumière,
Mais ne la regardez pas comme de la lumière.
La lumière et l’obscurité s’opposent
Comme le pied avant et le pied arrière dans la marche.
De toutes les choses innombrables chacune a son mérite,
Exprimé selon sa fonction et sa place.
Les phénomènes existent, comme la boîte et le couvercle s’ajustent ;
Le principe s’accorde, comme la rencontre de deux pointes de flèche.
Entendant les mots, comprenez le sens ;
Ne créez pas vos propres normes.
Si vous ne comprenez pas la voie qui se trouve à vos pieds
Comment connaîtrez-vous le chemin sur lequel marchez ?
La pratique n’est pas une question d’éloignement ou de proximité,
Mais dans la confusion les montagnes et les rivières barrent la route.
Vous qui étudiez le mystère, je vous supplie respectueusement
De ne pas passer vainement vos jours et vos nuits.
***
Hôkyôzanmai de Maître Tôzan Ryôkai (807- 869)
Le Recueillement accompli dit « Miroir précieux »
(Maître Dongshan Liangjie, Chine)
Traduit du sino-japonais par Kengan D. Robert
La Réalité de bouddha telle quelle,
Les bouddhas patriarches l’ont touchée en secret.
Vous qui maintenant l’avez obtenue,
Je vous en prie, conservez-la intacte.
Comme pour un bol d’argent couvert de neige,
Ou une grue cachée dans l’éclat de la lune,
Les choses s’y ressemblent sans être égales.
Même confondues, on sait où elles sont.
Son sens ne se trouve pas dans les mots,
Il évolue au fil des occasions.
Emu, et vous voici au fond d’un trou.
En contradiction, et vous voilà hésitant.
Lui tourner le dos
Ou s’en approcher,
Ni l’un ni l’autre, il ne faut.
Elle est une masse ardente !
Exprimez-la en langue ornée,
Et la voilà souillée !
Le mitan de la nuit la fait luire en plein,
Et elle s’évanouit aux lueurs de l’aube.
Elle est la norme qui régit les choses,
Usez-en pour abolir la souffrance.
Même si elle n’est pas conditionnée,
Les mots ne manquent pas pour en parler.
Tout comme vos traits et leur reflet
S’entre-regardent dans un miroir précieux.
Vous n’êtes pas elle,
Mais elle est bien vous.
Elle a les cinq marques d’un nouveau né,
Qui ne s’en va ni ne s’en vient,
Qui ne se lève ni ne reste en place.
Et dont le babil, phrase ou non,
N’obtient finalement rien :
La parole n’étant pas encore juste.
Elle interagit comme, de l’hexagramme « Feu »,
Les traits que l’on arrange,
Et qui, superposés, donnent trois,
Et cinq quand ils sont permutés.
Elle embrasse l’interdépendance merveilleuse
De l’infinie variété des choses du monde,
Comme les cinq goûts de l’herbe shiso,
Comme le sceptre diamant.
Elle est le tambour accompagnant
Le chant à l’unisson.
Elle passe par l’origine,
Elle parcourt les voies,
Elle s’insère dans toute zone,
Elle s’insinue par tout passage.
Si l’on s’applique à bien la respecter,
L’augure sera heureux.
Rien ne peut s’opposer
A son ordre des choses.
Mystérieuse par son état naturel,
Elle ne relève ni de l’illusion, ni de l’éveil.
Selon les causes et conditions et les occasions,
Elle brille en silence.
Si mince, qu’elle s’insère où il n’y a pas de faille,
Si grande, qu’elle dépasse toutes les limites.
Pourtant, dès le plus infime écart,
On se désaccorde de son harmonique.
Aujourd’hui existent
Un éveil soudain et un éveil graduel.
Des systèmes religieux apparaissent,
Et, pour cette raison, se divisent.
Aussitôt, ils en font des normes.
Que les religions qui suivent ces normes,
Arrivent à l’appréhender ou non,
La réalité, elle, poursuit son cours.
Calmes au dehors, vibrants en dedans,
Comme un cheval entravé ou un rat tapi,
Les bouddhas du passé poussés par la pitié,
Ont fait don de la Réalité de bouddha.
Car à suivre des idées erronées,
On prend de la soie noire pour de l’écrue.
Mais ces idées erronées une fois entre-détruites,
Les esprit abusés se réforment d’eux-mêmes.
Si vous aspirez à suivre la piste ancienne,
Je vous en prie contemplez les sages d’antan,
Comme ce bouddha qui, sur le point de réaliser son Eveil,
A contemplé un arbre durant dix éons.
Qu’une vie de misère,
Fasse se révéler le trésor de la nature de bouddha,
Comme l’oreille manquante d’un tigre,
Comme les balzanes d’un cheval.
Son prodige fait que même les êtres obtus en sont touchés
Comme par des flèches tirées à cent pas par Yi l’expert.
Et si une lance atteint sa flèche en plein vol,
En quoi son expertise est-elle neutralisée ?
Qu’une femme stérile se lève pour danser
Quand un nigaud chante,
Ne relève ni du sentiment ni de la conscience.
Mieux ! A-t-elle même besoin d’y réfléchir ?
Un vassal sert son suzerain,
Un fils obéit à son père.
Ne pas obéir ce n’est pas être bon fils,
Ne pas servir ce n’est pas aider.
La pratique des bouddhas patriarches
Quotidienne, sérieuse et sans ostentation
Dans les comportements ordinaires
Semble niaise ou absurde.
Pourtant le fait qu’elle se perpétue
Par exacte transmission mutuelle,
L’a fait nommer « Souveraine parmi les souverains. »
***